Conférenciers invités

Florence Mourlhon-Dallies

Professeure en Sciences du langage et Didactique des langues, EDA (Education, Discours, Apprentissages) et GRIP (Global Research Institute of Paris), Université Paris Cité.

Page personnelle

Les grands corpus oraux d’interactions : où, quand et comment les faire intervenir en Didactique Des Langues étrangères ?

La didactique des langues (DDL) se définit volontiers comme une discipline d’emprunt. Parmi les « disciplines mères », il est courant de convoquer la linguistique. Or ces dernières années, la linguistique s’est engagée dans la constitution et l’étude de grands corpus écrits et oraux. Si certains corpus littéraires et médiatiques (pour la presse écrite) ont été intégrés aux préoccupations didactiques, on constate à l’inverse que les grands corpus oraux peinent à entrer dans les manuels et n’ont qu’un faible impact sur les pratiques d’enseignement. Pourtant, on peut penser que les corpus oraux, dont les corpus d’interactions sur lesquels nous mettons le focus, sont précieux quand on veut assurer la transposition didactique des savoirs linguistiques en objets d’enseignement - tant pour les futurs formateurs et enseignants de langue que pour les apprenants étrangers plus directement.
A partir de notre propre expérience mais aussi de ressources construites à des fins didactiques par des linguistes et des didacticiens (CLAPI Fle, CLAPI Corail, CLAPI Interfare, FLEURON, FLORAL-PFC) nous aborderons les questions suivantes : Auprès de quels publics utiliser les grands corpus oraux ? A quelles fins ? De quelles manières ? Puis, pour finir, nous interrogerons quelques notions clés de la DDL  qui paraissent fortement impactées par le recours aux grands corpus oraux, dont celle de l’authenticité (versus du réalisme) des documents d’appui et celle de l’exposition discursive des apprenants « à l’oral ».

Bibliographie

André, V. (2021) : Des corpus d’interactions dans la formation linguistique des migrants, Savoirs 56, L’Harmattan, pp. 77-96.

Etienne, C., André, V. et Divoux, A. (2022) : Interagir en réunion de travail : de l’étude des
pratiques aux ressources didactiques, CMLF2022, https://doi.org/10.1051/shsconf/202213806011

Etienne, C. et David, C. (2020) : L’enseignement du français avec les interactions : approche méthodologique et mise en œuvre en classe depuis le niveau débutant, CMLF2020, https://doi.org/10.1051/shsconf/20207807004

Moirand, S. (2018) : L’apport de petits corpus à la compréhension de faits d’actualité, Corpus 18, https://journals.openedition.org/corpus/3519

Moirand, S. (2004) : L’impossible clôture des corpus médiatiques. La mise au jour des observables entre catégorisation et contextualisation, TRANEL 40, pp.71-92.

Mourlhon-Dallies, F. (2019) : Emprunter sans être impacté ? De quelques effets induits par l’analyse des interactions sur les postures de jeunes enseignants de Français Langue Étrangère, Linx 79, http://journals.openedition.org/linx/3671 ; DOI : https://doi.org/10.4000/linx.3671.

 Ruggia, S. et Gaillat, T. (2023) : Les corpus numériques pour la didactique des langues : de la formation des enseignants à l’élaboration de dispositifs d’apprentissage, Corpus 23, https://journals.openedition.org/corpus/8211

 

Jérôme Jacquin

Maître d’enseignement et de recherche, Section des Sciences du Langage et de l’Information, Université de Lausanne

Linguistique de corpus et pragmatique linguistique : opportunités et difficultés

 

La linguistique de corpus a longtemps été associée à l'analyse quantitative de données textuelles. Aujourd'hui, on admet plus volontiers non seulement la réalité et l'intérêt des méthodes mixtes articulant démarches quantitatives et qualitatives, mais aussi la diversité des matériaux langagiers sur lesquels appliquer ces techniques d'exploration. Alors que la première limite a été dépassée par une réflexion épistémologique plus générale sur les objectifs de la linguistique de corpus (par ex. Egbert, Larsson, et Biber 2020; Mayaffre 2005; Rastier 2004), la seconde l'a plutôt été au travers de l'émergence, l’agrégation et la (encore très relative) mutualisation de corpus oraux voire multimodaux (par ex. Adolphs et Carter 2013; Avanzi, Béguelin, et Diémoz 2016; Baldauf-Quilliatre et al. 2016).

Cela dit, la dimension pragmatique reste encore largement sous-explorée en linguistique de corpus, du moins comparativement aux niveaux plus traditionnels que sont les niveaux phonologiques, morphosyntaxiques, transphrastiques et textuels, et cela malgré quelques exceptions notables (par ex. Aijmer et Rühlemann 2014; Romero-Trillo 2008; Rühlemann 2019). Cela est possiblement dû à la diversité et à la nature des observables en jeu ainsi qu’à l’hétérogénéité théorique et méthodologique qui caractérisent le champ de la pragmatique. Certains courants influents, comme l’analyse conversationnelle d’inspiration ethnométhodologique, sont par ailleurs fermement réfractaires à la quantification (Schegloff 1993).

Plus fondamentalement, la difficulté d’une « pragmatique de corpus » (Aijmer et Rühlemann 2014) réside probablement dans la nécessité d’une définition et d’une délimitation claires non seulement des unités explorées, mais aussi du contexte (ou du niveau de granularité du contexte) pertinent de ces unités. On peut citer trois enjeux particulièrement complexes : (i) ce qui relève des implicatures et donc des contenus implicites et procéduraux (par ex. « cesser » > [avoir commencé] ; ou encore les connecteurs et autres marqueurs discursifs) ; (ii) ce qui relève de la séquentialité et des problèmes de récursivité qu’elle pose (le contexte d’une unité comme un déictique ou un acte de langage devient l’unité d’un contexte plus large, par exemple transphrastique, textuel ou interactionnel) ; (iii) ce qui relève de la multimodalité et de sa contribution à la production et à l'interprétation de conduites sémiotiques plus larges, dans la mesure où les comportements paraverbaux questionnent la discrétisation et la description d'unités bien moins structurées, voire grammaticalisées, que les conduites verbales.

De manière à exemplifier ces enjeux théoriques et méthodologiques relatifs à l’application de la linguistique de corpus à des observables pragmatiques, la conférence se basera pour partie sur un projet de recherche en cours financé par le Fonds National Suisse (www.unil.ch/sli/posepi; [100012_188924]). D’une durée de quatre ans, le projet entend proposer une exploration quantitative et qualitative des marqueurs épistémiques et évidentiels du français-en-interaction. Le corpus étudié rassemble 28h d’interactions naturelles en français vidéo-enregistrées en Suisse romande et documentant des débats politiques (9h de débats publics et 5h de débats télévisés) et des réunions professionnelles (14h de réunions de coordination et de brainstorming dans des entreprises de communication, architecture et ingénierie). Les données ont été intégralement transcrites et révisées dans le logiciel ELAN (Wittenburg et al. 2006) et en mobilisant les conventions de transcription ICOR (Groupe ICOR 2013). La conférence sera l’occasion de revenir sur les aspects les plus pertinents du guide d’annotation élaboré pour cette recherche (Jacquin et al. 2022a) et de problématiser la présente réflexion à partir de deux études de cas (Jacquin 2022; Jacquin et al. 2022b).

 Références

 Adolphs, Svenja, et Ronald Carter. 2013. Spoken Corpus Linguistics : From Monomodal to Multimodal. London: Routledge.

Aijmer, Karin, et Christoph Rühlemann, éd. 2014. Corpus Pragmatics: A Handbook. Cambridge: Cambridge University Press.

Avanzi, Mathieu, Marie-José Béguelin, et Federica Diémoz, éd. 2016. Corpus de français parlé et français parlé des corpus / Corpus N°15. Bases, Corpus, Langage - UMR 6039.

Baldauf-Quilliatre, H., I. Colón de Carvajal, C. Etienne, E. Jouin-Chardon, S. Teston-Bonnard, et V. Traverso. 2016. « CLAPI, une base de données multimodale pour la parole en interaction : apports et dilemmes ». Corpus (15).

Egbert, Jesse, Tove Larsson, et Douglas Biber. 2020. Doing Linguistics with a Corpus. Cambridge: Cambridge University Press.

Groupe ICOR. 2013. Convention ICOR. Lyon: ENS de Lyon – laboratoire ICAR. 

Jacquin, Jérôme. 2022. « A Contrastive Corpus Study of a Semantically Neutral French Evidential Marker: Tu Dis/Vous Dites [P] [You Say [P]] and Its Relationship with Agreement and Disagreement ». Journal of Pragmatics 199:75‑90. doi: 10.1016/j.pragma.2022.07.005.

Jacquin, Jérôme, Ana Claudia Keck, Clotilde Robin, et Sabrina Roh. 2022a. « Guide d’annotation du projet POSEPI ». 1‑50. doi: 10.5281/zenodo.7266737.

Jacquin, Jérôme, Ana Claudia Keck, Clotilde Robin, et Sabrina Roh. 2022b. « Les verbes d’apparence dans le français-en-interaction. Formes, fonctions et distributions de sembler, paraître, avoir l’air, avoir l’impression et donner l’impression dans un corpus de débats politiques et de réunions d’entreprise ». in SHS Web Conf. Volume 138, 8e Congrès Mondial de Linguistique Française, édité par F. Neveu, S. Prévost, A. Steuckardt, G. Bergounioux, et B. Hamma. EDP Sciences.

Mayaffre, Damon. 2005. « Rôle et place des corpus en linguistique : réflexions introductives ». http://www.revue-texto.net/Corpus/Publications/Mayaffre_Corpus.html X(4).

Rastier, François. 2004. « Enjeux épistémologiques de la linguistique de corpus ». Texto!

Romero-Trillo, Jesús, éd. 2008. Pragmatics and Corpus Linguistics, A Mutualistic Entente. Berlin, Boston: De Gruyter Mouton.

Rühlemann, Christoph. 2019. Corpus Linguistics for Pragmatics. New York: Routledge.

Schegloff, Emanuel A. 1993. « Reflections on Quantification in the Study of Conversation ». Research on Language and Social Interaction 26(1):99‑128

Wittenburg, Peter, Hennie Brugman, Albert Russel, Alex Klassmann, et Han Sloetjes. 2006. « ELAN: a Professional Framework for Multimodality Research ». in Proceedings of the Fifth International Conference on Language Resources and Evaluation (LREC’06). Genoa, Italy: European Language Resources Association (ELRA).

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